Brève: Treiber est innocent

14/10/2009 23:51

Deux semaines qu'il est en cavale. Echappé de la maison d'arrêt d'Auxerre, où il attendait son procès dans l'affaire Géraldine Giraud, Jean-Pierre Treiber a donné de ses nouvelles en envoyant une lettre

manuscrite (contenant quelques fautes d'orthographe et de syntaxe) à Périco Légasse, journaliste à Marianne. Le magazine ayant décidé de publier cette missive, ainsi que le badge de l'ancien détenu (photo) comme preuve de l'authenticité de cette lettre (qui vient d'ailleurs d'être formellement authentifiée par des analyses graphologiques). Une lettre très intéressante, dont vous pouvez consulter l'original en lisant l'article en question (cliquez ICI). Une lettre qui a été annoncée, dans un premier temps, sur l'antenne de France Info par exemple, au conditionnel... dans l'attente d'en savoir plus. Une lettre qui a aussi fait sourire (dans la rédaction de RTL, notamment, qui a mis en doute les compétences de M. Légasse, présenté par Christophe Hondelatte comme un "chroniqueur gastronomique"). Et, pourtant, il n'a pas de quoi rire, ni même douter. Ayant échappé aux gendarmes déployés dans l'Yonne pour le retrouver, Treiber inflige ainsi à la justice un camoufflet supplémentaire. Et, surtout, en choisissant Marianne, qui est plus connu pour ses combats républicains que pour une tendance au sensationnalisme (qui se répand dans la presse française), l'évadé d'Auxerre a réalisé un bon coup. Installer le doute sur sa culpabilité.

Par cet article, je ne veux pas affirmer qu'il est innocent des deux meurtres dont on le soupçonne d'être l'auteur. Les portraits que les médias (bien-pensants) dressent de lui laissent entendre qu'il n'est pas un saint, qu'il est plutôt dangereux. Et c'est une certitude intelligent ! Dans sa lettre, il explique être victime du système judiciaire français qui a mené contre lui une enquête entièrement à charge au cours de laquelle il n'a pas bénéficié de la présomption d'innocence, à laquelle tout suspect a droit avant d'être déclaré coupable par un tribunal. Et si, au fond, il avait raison? Son courrier oblige en tout cas à se poser la question. Car, au moins, trois éléments plaident pour sa version: 1- dès lors qu'il s'agit d'une star, de la politique ou du show-biz, la justice est expéditive. Il est bien évident que le chagrin de perdre un proche n'est pas inversement proportionnel à la notoriété. Mais, l'enquête aurait-elle été si vigoureuse s'il ne s'était pas agi de la fille de Roland Giraud? A voir l'empressement avec lequel les enquêteurs ont interpellé sa tante, finalement blanchie, puis M. Treiber, on a l'impression qu'ils cherchent le meilleur des coupables (le plus évident) sans approfondir les mobiles desdits suspects. D'ailleurs, dans sa lettre, le suspect n°1 écrit: "J'avais confiance en la justice mais je me suis trompé, on s'est acharné sur moi, sur mon entourage, en oubliant d'approfondir les relations de Géraldine". Un suspect, même idéal, ne peut être incriminé que s'il avait les raisons et les moyens d'être l'auteur de ce dont on l'accuse. Même Julie Lescaut ne s'y trompe pas... quand elle est face aux pratiques scandaleuses de personnages douteux.

2- le profil de Treiber, physique peu sympathique, décrit par ses proches comme dangereux, est donc parfait. A tel point que la justice n'est pas la seule à s'en contenter. L'emballement médiatique de ces derniers jours n'est pas sans rappeler les longs reportages qui ont accompagné chacune des étapes de l'affaire (découverte des corps, perquisition chez la tante, etc). Le procureur et les journaliste ont déjà condamné Treiber avant même que son procès ne s'ouvre; 3- je ne sais pas s'il est innocent, mais l'évadé d'Auxerre semble victime d'un système qui produit des boucs-émissaires. Sans compter qu'il subit aussi ce système carcéral, qui fait régulièrement la honte de notre pays. "J'ai repris une petite partie de [ce que] les assassins, "les vrais", m'ont volé, car je ne supportais plus la détention, étant au bord du suicide, ce qui aurait arrangé les affaires des coupables" écrit-il. Ajoutant, plus loin, qu'il a "donc choisi cette solution d'évasion qui n'est pas la meilleure, mais c'est peut-être le seul moyen de me faire entendre". Après un petit passage à la prison de Fresnes, il était considéré comme un détenu à haut risque qu'il fallait tout particulièrement surveillé. A ce titre, il a donc été détenu pendant près de cinq ans, dans le cadre de la détention provisoire, dans l'attente du procès. Imaginons qu'il soit innocent: il aura donc passé 5 ans derrière les barreaux ! Désormais va s'ouvrir une nouvelle phase de l'affaire - qui a déjà commencé -: la bataille entre les avocats de la famille Giraud et celui de Jean-Pierre Treiber, de grandes figures médiatiques, qui ont senti le bon coup. Et on en revient toujours au coeur du problème: cette justice à deux vitesses qui fera du tort à tout le monde. Aux familles des victimes comme au(x) présumé(s) coupable(s).

Complément au 20/09; j'ai lu, dans l'un des derniers numéros de Marianne (du 29 août, p. 60 à 65), un dossier passionnant sur le "crime parfait", celui que les enquêteurs français ne parviennent pas à élucider. A sa lecture, j'ai trouvé quelques passages qui peuvent confirmer la thèse selon laquelle Treiber pourrait être innocent (notez le conditionnel !). Les voici: "D'une manière générale, plus la victime se situe à un niveau élevé de l'échelle sociale, plus les chances que son assassin commette le crime parfait diminuent - les moyens déployés pour résoudre un meurtre dépendant beaucoup du statut du cadavre (...) "La mort violente d'une prostituée héroïnomane en situation irrégulière n'est pas jugée aussi importante que celle survenue au sein d'une famille bien établie (...)" reconnaît Laurent Mucchielli, diecteur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (...) En filigrane, c'est la politique du résultat encouragée place Beauvau qui est en cause. Les enquêteurs, sommés de faire du chiffre, ne vont pas au bout des affaires (...) Les techniques de manipulation mentale, bien qu'elles portent généralement leurs fruits en interrogatoire, ne garantissent pas pour autant l'arrestation des vrais criminels. "En réalité, les flics cherchent l'histoire qui tient la route, pas la vérité (...)" s'insurge le détective Roger-Marc Moreau (...) "Avec les magistrats, quand on a un coupable, il faut que ça colle, ironise Michelle Rudler. Et quand on a décidé qu'Untel est coupable, on ne retient que les éléments qui l'accablent. L'instruction se fait toujours à charge". Là encore, il s'agit de gagner du temps, et donc de l'argent, quitte à laisser un meurtrier dans la nature et à faire accuser un innocent". Eloquent, non? Treiber serait-il victime de ce système?