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JES6 - Pour une France Juste, Ecologique et Sociale

Ce blog rassemble mes idées et constitue une modeste pierre pour bâtir une alternance en 2022.

La Russie est-elle européenne?

Pour tout dire, cette question est passionnante. Et c'est le genre de sujet qui pourrait être posé à un candidat au professorat en histoire et géographie... tant les considérations historiques et géopolitiques sont incontournables pour y répondre. Cette question est récurrente, tout comme celle de savoir si la Turquie est européenne: or, l'histoire et la géopolitique ne peuvent qu'apporter des pistes de réflexion car la réponse n'est possible que sur le seul plan politique. En effet, aujourd'hui, être européen n'a pas de sens si l'on ne se préoccupe que d'histoire ou de géographie: être européen, c'est d'abord appartenir à une communauté de destin, à un espace marqué par un héritage culturel et civilisationnel. Or, une civilisation n'existe que par la coexistence et le brassage de cultures différentes: pour l'historien Fernand Braudel, la civilisation méditerranéenne qui a commencé à émerger au XIIème siècle (et qui sert de base à l'idée sarkozyenne d'Union Pour la Méditerranée) n'a de sens que par les contacts qui ont marqué cette époque, entre trois cultures (occidentale et chrétienne, grecque et byzantine, orientale et musulmane), que ce soit par le biais d'un enrichissement mutuel (en termes de relations commerciales ou d'apports scientifiques) ou par le biais de conflits. De même, l'idée d'Europe (qui est au programme du CAPES et de l'agrégation d'histoire pour la période 1919-1992) n'a de sens que politique: l'histoire éclaire mais ne définit pas cette idée. Alors, la Russie (qui est également au programme de ces deux mêmes concours, dans la partie "géographie") est-elle européenne?

Partons d'un constat. Que ce soit sur le site Internet de France Info ou dans les pages de l'hebdomadaire Courrier International, la Russie est rangée dans la catégorie "Europe". Et les raisons sont nombreuses pour justifier ce choix. Mais, est-il vraiment pertinent? Un peu d'histoire, pour commencer. Quand on aborde l'européanité de la Russie, le nom d'un seul grand personnage de l'histoire russe est communément avancé: celui de Pierre Ier le Grand (ci-contre, la statue qui lui est dédiée à Saint-Pétersbourg), tsar puis empereur russe de 1682 à 1725. Connu notamment pour les réformes qu'il contribua à mettre en place en matière fiscale, économique et éducative dans la Russie du permier XVIIIème siècle. C'est sous Pierre Ier que la capitale russe passa de Moscou, vieille ville trop orientale à son goût, à Saint-Pétersbourg, davantage tournée vers le continent européen et où il imposa le mode de vie occidental (à la Cour comme en matière d'embellissement de cette cité qu'il modernisa), qu'il aimait tant. Cet europhile contribua à rapprocher son pays de la scène européenne, faisant de la Russie un partenaire constant des puissances européennes. Notamment en matière de diplomatie: soulignons la place tenue par la Russie dans les conflits napoléoniens, dans les partages successifs du territoire polonais, dans les systèmes d'alliance d'avant-première guerre mondiale ou encore, plus prêt de nous, dans la construction d'une Europe de l'est communiste. Bref, historiquement parlant, depuis Pierre Ier, la Russie est un territoire tourné vers l'Europe.

Voilà donc un premier élément de réponse, qu'il faut toutefois nuancer. D'une part, même si les rédacteurs du traité constitutionnel européen (rejeté par les Français en 2005) ont finalemet renoncé à faire mention des supposées "racines chrétiennes de l'Europe", auxquelles sont attachées les pays catholiques européens et qui permettaient de poser une barrière supplémentaire pour faire barrage à la Turquie, il n'en demeure pas moins que la culture européenne est fortement marquée par la religion chrétienne. Dès lors, l'orthodoxie russe apparaîtrait comme un premier point d'éloignement de la culture européenne: sauf que la Grèce, historiquement parlant, a également été une terre d'orthodoxie, en plus d'être une région de contacts répétés entre Occidentaux et musulmans. Second frein supposé: les traditions et le mode de vie des Russes n'est pas le plus proche de ceux des Européens. C'est vrai. Au moins dans une partie du pays. Et cet argument rejoint l'argument géographique: comme la Turquie, le territoire russe est très majoritairement asiatique, seule la région de Moscovie (autour de la capitale, berceau historique du pays et zone la plus occidentalisée) appartient au continent européen. Et si l'on considère les limites que fixaient le général de Gaulle dans les années 1960, parlant d'une Europe de "l'Atlantique à l'Oural", il est indéniable qu'une part du territoire russe est européen. Mais, comme pour la Turquie donc, cette part étant ultra-minoritaire en terme de superficie et un peu moins en terme démographique, cela suffit à faire de la Russie un pays non-européen.

Raisonnement simpliste, dans la mesure où l'européanité - je le répète - n'est en fait qu'une affaire politique. Certes, les membres de l'UE se sont unis de par leur proximité géographique... mais pas seulement. C'est aussi une communauté nourrie par des idéaux, des valeurs et des héritages que les pères fondateurs de l'Union ont voulu promouvoir. Le problème est qu'actuellement l'Europe traverse une grave crise d'identité qui engendre un certain replis (que Sarko véhicule avec son idée d'un blocage de tout élargissement à l'est) Et, si un jour la Turquie devait rejoindre l'UE (ce qui serait sans doute une bonne chose), c'est que cette idée d'une Europe politique aura enfin triomphé ! Et cette idée d'une Europe politique repose donc sur d'autres considérations que toutes celles que je viens d'énoncer. C'est le respect des principes européens (démocratie directe, multipartisme, respect des droits fondamentaux de l'homme, liberté d'expression et de presse, égalité hommes-femmes, protection de l'enfance...) qui conditionne l'européanité d'un territoire. Dès lors, la Russie est-elle européenne? Celle d'aujourd'hui, celle de Vladimir Poutine et de Dmitri Medvedev, certainement pas ! Et l'information que nous avons appris cette semaine le confirme: les conseillers de l'actuel président travaille à l'élaboration d'un scénario qui permettrait à son prédécesseur et actuel premier ministre de revenir au pouvoir. Mesures créant une impopularité du président, présentation d'une réforme constitutionnelle, démission de Medvedev et élection présidentielle anticipée (à laquelle Poutine pourrait se présenter, seul, grâce à la "transition" actuelle) constitueraient les étapes de ce scénario plus que probable... Tout sauf une démocratie vivante !!

Bref, les décisions des dirigeants russes, qui ne pensent qu'au pouvoir pour le pouvoir, vont encore pénaliser les citoyens du pays. Un peu comme ces guerres décidés par des super-stratèges à l'abri dans leurs bureaux et qui endeuillent des milliers de familles civiles innocentes. Si l'on ajoute à cela que les relations russo-américaines pourraient finalement se tendre encore davantage, dans une logique d'affrontement voulue par Moscou, il est clair que le pays ne répond pas aux exigences d'une UE respectueuse de leurs peuples. En effet, dans sa dernière conférence de presse, Medvedev - qui a affirmé vouloir rencontrer rapidement le nouveau président américain - a tenu des propos dignes de la guerre froide, considérant que le conflit avec la Géorgie n'a été qu'un prétexte pour poursuivre l'encerclement de son pays par l'OTAN. Propos qu'un rédacteur en chef de la presse russe attribue à Vladimir Poutine qui, en coulisse, rédige les propos de son successeur dans le but de l'empêcher de nouer de bonnes relations avec Barack Obama. Et si, dans les prochains mois, l'ancien président retrouve la fonction suprême, il est clair que cela ne fera qu'éloigner le pays de ses éventuels alliés occidentaux, la pression gazière ne pouvant pas être une ligne politique pertinente et durable, dans un monde qui connaît dans de bouleversements et de nouveaux défis. En espérant que le peuple russe en est conscience et ne se laisse pas pièger ! Car, dans cette affaire, c'est lui la véritable victime !
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C
Bonjour! <br /> Pour alimenter le débat, je suggère de penser au point de vue russe sur la question. La lutte entre slavophiles et occidentalistes atteste d'une tension au sein même des élites russes entre l'attraction pour le modèle européen, et son rejet radical. Mais dans les deux cas, elle présuppose que la Russie n'est pas véritablement européenne, puisqu'il faut soit s'y rattacher (occidentalistes) et copier le modèle ouest-européen, soit s'y opposer, en préservant les valeurs traditionnelles de la Russie, la troisième rome.<br /> Le scepticisme russe vis-à-vis de l'Europe doit aussi prendre en compte des donner stratégique: immensité d'un territoire sous-peuplé, faiblesse de la présence russe en orient, face à la poussée chinoise (blagoveschtchenck, vladivastok, mongolie...), situation d'hinterland avec un front musulman au sud, maintien d'une présence russe importante en asie centrale (kyrghyzstan, qazaqstan,...)<br /> Qui a la priorité ? La géographie ou l'histoire ? l'attrait pour la sibérie ou l'attrait pour l'europe de l'ouest?<br /> Si Europe désigne une communauté historico-culturelle, la Russie est sans doute européenne, quoiqu'avec des spécificités. Du point de vue géo-stratégique, la Russie ne s'arrrête pas à l'Oural ou à Kazan, elle est donc hors de l'Europe. <br /> Enfin, il reste la question de l'expansionnisme russe: vers les détroits du bosphore et des dardanelles, vers les pays frères slaves, vers le caucase, comme une nécessité stratégique: créer un glacis territorial préservant l'intégrité de ce pays immense. Un curieux paradoxe!
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A
<br /> <br /> Bonjour !<br /> Il est bien évident que, comme dans le cas de la Turquie, deux lignes peuvent être défendues pour faire de la Russie un espace intégré à l'Europe:<br /> - soit on considère que, par sa participation à la civilisation et à l'histoire européennes, elle PEUT intégrer l'UE;<br /> - soit on juge que les arguments politiques, géographiques et culturelles en font plutôt un territoire non européen.<br /> <br /> Là encore, il faut peser le pour et le contre. Mais, ce cas est plus complexe que le dossier turc car la Moscovie, la région de la capitale à l'extrême-ouest du pays, est presque pleinement<br /> européenne tandis que la Sibérie est absolument asiatique.<br /> En fait, le cas russe illustre un aspect dont j'ai peu parlé: l'Europe étant un object géographique difficile à délimiter (c'est même presque impossible), on ne peut pas avoir de réponse<br /> satisfaisante et définitive à la question posée par l'article. Mais, c'est aussi cela le charme de la politique: prendre une décision, en essayant de préserver l'intérêt général,<br /> tout en ayant tous les éléments en main pour apprécier les enjeux d'un dossier.<br /> <br /> <br /> <br />
L
Bonjour Aurélien,<br /> La question est si difficile que tu as du courage de l'aborder. Le mode de vie est européen, mais la politique, c'est plus Amérique du Sud ou Afrique. En affaires aussi, notamment. C'est même pire que l'Afrique. <br /> Bonne fin de journée<br /> Elise
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A
<br /> Comme je le disais dans l'article, la Russie est l'un des sujets de l'agrégation de géographie cette année, et en géographe, je m'y intéresse tout particulièrement. La même question à propos de la<br /> Turquie me passionne tout autant. Je ne fais donc que formuler une opinion à partir d'élèments véridiques qui permettent d'éclaircir quelque peu cette difficile question, en effet. Merci de ta<br /> visite !<br /> <br /> <br />
J
Passionant !<br /> Très bien écrit !<br /> Très bon arguements...<br /> Bravo !
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A
<br /> Et bien, merci beaucoup... C'est un commentaire très (trop?) élogieux. Je suis doublement satisfait: de voir que ma passion pour ce sujet se ressent à la lecture d'un article, et de constater que<br /> je peux apporter des informations à mes lecteurs. C'est génial !<br /> <br /> <br />