7 Avril 2010
Autrefois (il y a quatre ou cinq ans, déjà), on vantait les mérites du ministre de l'Intérieur de l'époque: la criminalité était en baisse, son volontarisme médiatique séduisait les classes populaires qui voyaient enfin un homme politique agir, l'homme en question faisait l'actualité imposant aux médias les sujets sur lesquels droite et gauche s'affrontaient. Aujourd'hui, le même personnage, devenu président de la République, n'envoûte plus ses concitoyens: les chiffres de la délinquance (et le ressenti sécuritaire) sont en berne; ses déplacements en province s'apparentent davantage à du bougisme sans conséquence qui, en plus, fait exploser le budget de l'Elysée (quand les Français d'en bas peinent à finir leurs mois); pire, ils ne dictent plus les thèmes qui font débat dans la classe politique malgré le soutien de médias-amis (contrôlés par certains de ses proches). D'aucuns y verront la confirmation qu'il n'est pas taillé pour la fonction... qu'il est davantage un super premier ministre qu'un chef d'Etat. Cette hypothèse est, en partie, validée par le dernier discours, prononcé par le chef de l'Etat devant des étudiants américains, à l'occasion de sa réception par le couple Obama: lors de cette intervention publique (photo: le président Sarkozy devant les présidents des deux chambres du Congrès américain), il s'est fait une joie de commenter l'adoption du projet de loi sur la réforme du système de santé américain en rappelant, sourire aux lèvres, que la France l'avait fait depuis bien longtemps. Une déclaration bien inélégante; jugez-en: "L'idée que cela fasse un débat d'une telle violence que de vouloir que les plus pauvres d'entre vous ne soient pas laissés dans la rue, seuls, sans un centime, face à la maladie... excusez-moi, mais, nous, cela ne fait guère que 50 ans que nous avons résolu le problème". Bref, voici un président qui se donne en spectacle, rabaissant son public (le peuple "ami" américain) sur le mode "eh, bien, nous, on a fait aussi bien, voire mieux, depuis longtemps"... Na-na-nère ! C'est cela, être le président d'une nation qui se veut grande? C'est davantage une faute politique, bourrée d'arrogance et de paradoxe (car, voir vanter un libéral comme lui notre modèle social, qu'il voulait pilonner avant la grande crise, c'est assez drôle) !
Mais, cette explication d'un Sarko affaibli (au point qu'il a perdu les élections régionales, plus qu'elles n'ont été gagnées par ses opposants) n'est pas suffisante. L'actualité, c'est désormais l'opposition qui la provoque. Adoptant un ton plus ferme et tapant sans détour sur la politique gouvernementale, Martine Aubry impose des thèmes. N'est-ce pas la ténacité des socialistes et des responsables de la gauche de la gauche (tel M. Mélenchon) qui a fini par obliger la majorité à se déchirer (pour une fois que les rôles ont changé !) sur le bouclier fiscal? Moins récent, ne sont-ce pas les attaques de l'opposition qui ont mis sur le devant de la scène les affaires du prince Jean ou du salaire Proglio, toutes symptomatiques d'un pouvoir qui conduit la France dans le mur... au profit d'un clan? Plus récemment, n'est-ce pas la présidence de la République qui tente d'imposer des polémiques dont tout le monde se fout, avec la complicité de l'inutile Rachida Dati, en ce moment? Comme si ces sujets étaient susceptibles d'aider les Français à surmonter l'inflation, l'explosion du chômage, la crainte du lendemain, la hausse des loyers et du prix de l'essence à la pompe... Ou l'on voit que, depuis quelques mois, la droite n'est plus maîtresse de ce calendrier qu'elle détenait depuis des années. Pire: les parlementaires de la majorité entendent imposer l'examen, à l'Assemblée, d'une proposition de loi suspendant l'exécution du bouclier fiscal, au nom de la solidarité en temps de crise. Bref, le chef n'est plus le chef absolu, qui dicte à ses troupes la bonne conduite et qui enferme le Parlement (donc, les élus de la nation) dans un rôle d'enregistrement de ses décisions, comme sous l'Ancien Régime. Pis encore: la "pause" qu'il entendait décréter à l'automne 2011, pour s'assurer une campagne électorale sans remous (et qu'il avait subtilement présentée comme un moment propice pour mettre à plat toute notre législation pour la rendre plus efficace), n'aura pas lieu... car, a contact de leurs électeurs, les députés (inquiets de leur propre avenir) lui ont fait comprendre que l'immobilité pourrait lui coûter cher. Quitte à continuer de bouger dans tous les sens, en produisant des décisions impopulaires, injustes et inefficaces !
Au temps de la comm' à outrance, c'est aussi par cette voie que le président du Conseil général de Seine-Saint-Denis a mis le président au défi: en affirmant vouloir présenter un budget en déficit (ce que la loi lui interdit), Claude Bartolone entend rappeler, via le débat public, que l'Etat ne tient pas ses engagements financiers à l'égard des collectivités locales qui s'en trouvent financièrement étranglées. La situation n'est pas bien complexe à comprendre: avec la crise, les dépenses sociales des départements (ces collectivités qui versent les RMI et autres RSA au nom de l'Etat) ont explosé; avec la réforme de l'Etat et les transferts de compétence à outrance, les recettes se sont amoindries (puisque l'Etat cumule des retards de paiement impressionnant à l'égard de ces mêmes collectivités). Conséquence: si nos départements veulent continuer leur rythme de dépenses sociales, pour construire ce bouclier social (évoqué à l'occasion des dernières régionales) que l'Etat ne concrétise pas, les budgets présentés s'en trouvent déficitaires, faute de pouvoir équilibrer ces dépenses avec les recettes correspondantes. On savait que l'Etat doit quelques millions à une Sécu elle aussi en déficit. Voilà que les Français aperçoivent, grâce à la témérité des socialistes, la réalité de la situation financière de l'une de leurs collectivités (à laquelle ils tiennent d'ailleurs le plus) ! Dans les mois qui viennent, la gauche devrait encore restée maître de l'actualité. Viendra la question des primaires et de la façon avec laquelle il faut les organiser (à quelle date, avec quels critères de candidature, avec quels électeurs, etc). Viendra aussi le débat, interne au PS (dans un premier temps), de la proposition de non cumul des mandats. A priori, les socialistes devraient en faire leur règle, en mettant en place, dès les législatives de 2012, le principe de mandat unique des parlementaires. Reste à savoir si la droite s'engagera dans la même voie, si ce projet doit être inscrit dans la Constitution. Le temps n'est pas encore venu d'en parler mais je crois que les Français, avec le message qu'ils ont envoyé lors du dernier scrutin, réclament une classe politique plus exemplaire et des élus plus à l'écoute. Interdire aux présidents d'un exécutif local d'être en même temps sénateur (ce qui les oblige à s'éloigner de leur département), c'est apporter une réponse (incomplète, mais symbolique) aux attentes des Français. Et ce débat, le PS devra l'imposer pour le mener jusqu'au bout !