Un acharnement médiatico-politique dont le FN et les quadras du PS ont essayé de profiter: c'est ainsi que l'on pourrait résumer l'affaire Mitterrand, sur le point de s'éteindre. Les amalgames dont a été victime le ministre de la Culture ne grandissent pas leurs auteurs, c'est sûr ! Et, après la prestation du neveu sur le canapé rouge de "Vivement dimanche", hier, où il s'en sort plutôt bien, il en devient presque plus sympathique. Ne serait-ce que par les réactions, tout aussi excessives et bien-pensantes, que l'affaire suscite dans les rangs de la droite au sens large. A l'occasion de cette affaire, le président Sarkozy se rend compte que son socle électoral, qu'il a mis tant de temps à construire pour triompher en 2007, est plus fragile qu'il ne le croit... ce qui à de quoi l'inquiéter pour 2012. Les plus conservateurs, opposés à toute avancée, notamment sur le terrain sociétal, ont des mots très durs contre le Président. Avant son élection, et dans les premiers temps, voir un libéral conservateur bousculer l'ordre établi pour réformer courageusement la France, ça leur plaisait. Quitte à lui fermer les yeux sur quelques extravagances qui en ont tout de même gené plus d'un (la semaine de repos sur le yacht de Boloré, le divorce et remariage express, l'ouverture élargie à l'ex-gauche caviar devenue la "gauche Carla"). Mais cette fois, ces électeurs attachés à la tradition, dont certains sont venus des rangs de l'extrême-droite (pour qui le Français modèle est blanc, catholique et hétéro), commencent à lâcher le Président. La comm' à tout-va, les bons coups médiatiques et l'inflence d'une Carle qui a trop calmer son époux, cela ne plaît plus. "On est tombé sur la tête. L'école, le mérite, l'effort, c'est nous. Et Martin Hirsch propose de payer les élèves pour qu'ils viennent en cours alors qu'ils y a quelques années l'UMP proposait de suspendre les allocations familiales aux familles dont les enfants séchaient les cours" s'étrangle un dirigeant du parti présidentiel, dans Marianne. Et le même responsable de poursuivre: "La famille, c'est nous. Et on se met à défendre un violeur de petite fille [Polanski] après avoir fait ministre un homosexuel qui fréquente les bordels thaïlandais. Et vous voudriez qu'on soit content !".
Bref, la colère gronde dans la majorité. Déjà que certains chiraco-villepinistes font entendre leurs différences, que ce qui se réclament encore du gaullisme ainsi que certains souverainistes ont coupé les ponts avec la machine-UMP, monolithique, pour répondre aux ambitions d'un seul homme ! Le chef de l'Etat a du soucis à se faire. Voilà pour l'analyse politique. Mais, tout aussi intéressant, dans le même dossier tiré de Marianne, un encadré intitulé "Garçons, l'addition..." (par Clara Dupont-Monod, du service culture du magazine) revient sur le sens du livre au coeur de la polémique. Et cette critique, particulièrement bien écrite et finalement élogieuse, m'a tout simplement donné envie d'acheter et de lire l'ouvrage incriminé. Sorti en version Poche en juin dernier, après la nomination de son auteur en succession de Mme Albanel, en voici donc un portrait qui vous donnera peut-être aussi l'envie de le lire... histoire de clore cette lamentable affaire et de continuer à en parler en connaissance de cause. "La littérature est fâchée avec la vertu. Et cela ne relève pas de l'aphorisme gauchisant d'une bien-pensance culturelle. C'est un fait: la vraie bonne littérature préfère la malséance à la morale. Pas besoin de citer Sade, Gide ou Genet pour appuyer le propos. Si Marcel Proust avait dû renoncer à son baron Charlus sanglé de cuir et de chaînes, si Alexandre Dumas avait dû transformer sa dame aux camélias, la plus célèbre call-girl de la littérature, en brave épouse championne des pots-au-feu, l'histoire littéraire en aurait été appauvrie. On pense ce que l'on veut de la Mauvaise vie de Frédéric Mitterrand. Qu'elle est bien ou mal écrite, peu importe. Mais on ne peut pas décrier le livre au motif qu'il parle de sexe, de bordel, de jeunes garçons. D'ailleurs, n'en déplaise à Marine Le Pen, il n'est pas question, ici, de mineurs, mais de jeunes adultes. Ainsi du chapitre incriminé, intitulé "Bird", qui raconte une passe à Patpong en Thaïlande, entre le narrateur et un éphèbe de 20 ans. De pédophilie, nulle trace. Idem pour la "solution Maghreb", formule ironique pour désigner la plus triste façon de combiner la solitude.
"On sert de femme de remplacement et de livret de caisse d'épargne" écrit celui qui consomme les "beaux gosses" à défaut de pouvoir les séduire. Voilà tout ce qui différencie un Frédéric Mitterrand d'un Michel Houellebecq; la sincérité dans la dissection de soi. Il n'y a pas, en littérature, de sujet plus blâmable qu'un autre. Le sujet d'un livre, cela ne veut rien dire. On peut faire des chefs-d'oeuvre sur une trame infime (Madame Bovary, ce n'est jamais que l'histoire d'une femme qui s'ennuie), et, à l'inverse, d'épouvantables daubes à partir d'un sujet formidable. C'est le traitement d'un sujet qui fait ou non un bon texte. On l'appelle aussi le regard, le style ou la voix. Et il faut bien reconnaître que, dans cette Mauvaise vie, il y a un regard. Ici, pas d'apologie de la prostitution, pas de provocation facile, pas de prose prétendument moderne. Juste l'histoire d'un type qui se déteste, et qui sait parfaitement à quel niveau il tombe lorsqu'il a recours aux amours tarifées. Il le raconte avec une honnêteté qui met presque mal à l'aise (...) Quand le livre est sort en 2005, il s'ets vendu à 200 000 exemplaires. Visiblement, le livre a été lu comme un objet complet, un autoportrait qui traite de l'amour du cinéma et de l'amour des jeunes garçons, de la bourgeoisie d'après-guerre, de la France des années 60, du sentiment intime de ne rien valoir. Il n'y a pas eu de polémique (...) Personne n'a cédé au piège de la décontextualisation: isoler un passage du reste de l'oeuvre, comme l'a fait Marine Le Pen, ne donne aucune idée du livre cité. Qu'on essaye avec Nana, d'Emile Zola, et gare aux accusations de complaisance obscène, de manifeste prostitutionnel, d'injures à l'égard des femmes ! Au train où [cela] va, il ne restera bientôt plus que la série des Oui-oui en librairie" (n°651 du 10 octobre 2009, p. 13).
Après avoir lu cela, je veux donc en avoir le coeur net et lire toute l'oeuvre. Je suis aussi indigné par la démarche d'une Le Pen, en quête de visibilité pour bien succèder à son père, que par celle de ceux qui demandent le retrait de l'album "Tintin au Congo" sous prétexte qu'il véhicule une vision raciste et réductrice des peuples colonisés. Normal ! A l'époque où il a été écrit... Pour toutes ces raisons, je lirai donc le livre de celui qui, dans le portrait que lui consacre Marianne cette semaine, a eu ces mots en 1988, alors qu'il démissionnait de TF1: "Ils n'aiment ni les Noirs, ni les Arabes, ni les pédés, ni les gens de gauche. Autant dire que je n'y avais pas beaucoup d'avenir...". Le procès qui lui a été fait, en seulement quelques jours, reléguant au second plan des sujets bien plus importants, doit déboucher sur un acquittement. Il s'est expliqué, a mis les choses au clair et ne mérite pas d'être condamné. L'une des choses à faire est de ne pas tomber dans la bassesse de ceux qui l'ont attaqué. Déjà que le gouvernement - pour ne pas relancer la polémique - a décidé de repousser de plusieurs mois l'examen d'un projet de loi, initialement prévu pour bientôt, mettant en place des campagnes de lutte contre le tourisme sexuel. Ce spectacle a assez duré...