14 Avril 2010
Sophie de Menthon, vous connaissez? Présidente depuis 1995 du mouvement Ethic (pour "Entreprises de taille humaine, indépendantes et de croissance), elle est une chef d'entreprise... candidate, depuis hier, au poste de présidente du Medef. En avril 2009, elle a d'ailleurs démissionné du comité éthique de la principale organisation patronale, dirigée par Laurence Parisot (qui remettra prochainement son mandat en jeu), se disant en décalage avec les ambitions de cette dernière à propos de la rémunération des grands patrons. C'est sur Europe 1 que cette femme de 62 ans (photo) a déclaré sa candidature affirmant, d'une part, vouloir représenter une alternative à la "patronne des patrons" sortante (jusque-là assurée d'une réelection, faute de challengers) et, d'autre part, vouloir proposer une autre voie. Peu critique à l'égard du bilan de Mme Parisot, Sophie de Menthon considère toutefois que l'image des entrepreneurs s'est, notamment au cours de l'année 2009, dégradée. Son objectif: changer l'image des patrons auprès de l'opinion en défendant quelques pistes concrètes comme un encadrement plus strict des hautes rémunérations (afin de dépasser l'inefficace "code de bonne conduite" du Medef) ou la réforme de la fiscalité de l'entreprise à l'échelle européenne... sans nier que le monde doit rester concurrentiel. Ses théories, exposées sur les ondes de RMC ou dans des livres, sont simples: sans croissance, les entreprises seront de plus en plus discriminantes; il existe un fossé entre les grands patrons, dont certaines pratiques sont condamnables, et les vrais entrepreneurs des PME qui investissent pour maintenir le tissu économique des régions dans lesquelles ils sont implantés. Bref, des théories que Nicolas Sarkozy aurait pu prononcer, tant elle semble frappée par le bon sens. Mais, cette candidature n'ira probablement pas très loin, faute de soutien à l'intérieur du milieu patronal: car, sans l'appui des grandes fédérations puissantes qui structurent le Medef, point de salut...
Et, pourtant, le Medef façon Parisot aurait besoin d'un bon lifting. Inutile de revenir sur le cas de la rémunération des grands patrons qui, en France, n'ont pas été encadrées par uen décision gouvernementale, le mouvement patronal ayant décidé de gérer, par lui même, ce dossier avec un code de bonne conduite... dont on peine à savoir s'il a permis de changer quoi que ce soit. Non: l'actualité fournit un autre exemple de ce risque (car c'est un danger qui pèse sur notre démocratie sociale) de décrochage entre le peuple et les chefs d'entreprise. Ce matin, par les médias, les salariés d'un site de PSA en région parisienne ont appris la prochaine fermeture de leur usine. Tout a déjà été dit sur ce dossier: et tout le monde retiendra que PSA ferme un site, en violation de son engagement à ne pas détruire d'emplois pendant cinq ans... après avoir reçu une aide de plusieurs milliards d'€uros fournie par l'Etat l'an dernier. La direction (relayée par le porte-parole du gouvernement, dès ce matin) aura beau expliquer que ce n'est pas un site productif, que les emplois ne sont pas supprimés mais déplacés sur un autre site de l'est du pays... le mal est fait ! L'engagement n'est pas respecté. Les profits passent devant la vie de centaines d'ouvriers qui ont établi leur vie familiale et sociale dans la région où ils travaillent. Le patron de PSA comprend-il que, quand on a fait bâtir une maison dans une région où l'on se plait, où les enfants sont scolarisés et ont leurs amis, on a pas envie de partir à l'autre bout du pays pour garder son job? D'aucuns répliqueront que, sans mobilité et sans faire preuve de bonne volonté, il est difficile - voire impossible - pour un homme de garder le même boulot durant toute sa vie de salarié. Certes. Mais, le bien-être de l'ouvrier et de sa famille n'est-il pas aussi important? Et si le conjoint du salarié de PSA a un boulot dans cette région... qu'il ne retrouvera peut-être pas facilement dans une autre contrée? Tout cela, les grands administrateurs d'entreprise, dans leurs bureaux parisiens, ne le lisent pas dans les chiffres d'affaires qu'ils scrutent à longueur de journée.
Que se serait-il passé si le président Sarkozy avait maintenu la taxe carbone, y compris pour les entreprises? Celles-ci auraient dégraissé encore plus rapidement, contraintes de payer un impôt de plus? Il n'y a guère le Medef pour se satisfaire du retrait de cette taxe. Certes, il est toujours plus facile de se déclarer favorable à un impôt une fois qu'il est retiré... et que nous n'avons plus à le payer ! Mais, les Français adhéraient (et adhèrent toujours) massivement au principe de cette taxe. Et, même si la contribution version UMP n'était pas la plus juste et la plus efficace, elle avait le mérite de constituer le premier pas d'une fiscalité écologique, présentée comme une révolution. Mais, les révolutions: les monarques en ont affreusement peur ! Et le roi élyséen a reculé, sous la pression de parlementaires davantage inquiets de la conservation de leurs fauteuils en 2012 que de l'avenir de la planète. Le plus lamentable, dans cette histoire, c'est l'argument utilisé par le pouvoir pour justifier cet abandon: la taxe carbone reviendra le jour où l'Europe en décidera ainsi. Avec de telles manoeuvres, l'Europe politique et écologique n'est pas pour demain. Non seulement l'équipe de Sarkozy accentue l'idée que si les choses n'avancent pas aussi vite qu'ils le voudraient, c'est la faute à Bruxelles... Mais, en plus, en se privant de l'occasion de donner l'exemple à nos partenaires, la France fragilise sa propre position sur ce sujet. Sans compter que, contrairement à ce qui a été dit, la France n'aurait pas été le seul pays à avoir une telle taxe, entourée d'Etats récalcitrants puisque la Suède possède une fiscalité écologique depuis plusieurs décennies... et qui n'a d'ailleurs pas freiné ses performances économiques ! Bref, sur ce thème, Sarko a tout faux. Et montre de manière limpide qu'il n'a aucune vision courageuse à long terme. Comme tous les politiciens, il refuse l'idée de perdre le pouvoir, le temps d'un mandat (2012-2017), tout en ayant mis en place une mesure impopulaire mais efficace ! Ce revirement nous en apprend, en fait, beaucoup.
Voilà donc que notre Président se prive de sa mesure révolutionnaire (qu'il avait osé comparer à l'abolition de la peine de mort... prouvant, aujourd'hui, qu'il a moins de courage que l'équipe de Mitterrand !). Et qu'il est donc désormais prisonnier de la réussite de sa (désormais seule) réforme-phare: celle du régime des retraites. Les négociations ont débuté lundi, au ministère du Travail. Et, là, premier indicateur: le changement de style. Point de convocation des centrales syndicales à l'Elysée pour fixer un cap ou connaître les pistes privilégiées par le gouvernement. Tous les responsables syndicaux ont été reçus, un par un, par le ministre, Eric Woerth (pour le coup, seul en première ligne)... quand le président s'envolait pour Washington. Pour moi, c'est un bon point. Le ministre concerné semble avoir toute liberté de mener des concertations pour lesquelles le calendrier est large. Il ne devrait donc pas y avoir de décisions précipitées et fixées à l'avance par l'Elysée: très bien ! Deuxième constat: participant lui aussi au débat, le PS n'a pas manqué d'indiquer que cette réforme, présentée comme LE grand rendez-vous du quinquennat, n'est... pas si urgente ! En effet, pour les socialistes (et je partage cet avis): s'il y a déficit du régime des retraites, c'est parce que les cotisations sociales le finançant ne rentrent pas comme il le faudrait... et donc que la prochaine réforme structurelle ne s'attaque pas aux véritables causes du problème. Or, le coeur du problème, c'est ce chômage de masse qui fragilise tout notre système de solidarité: les actifs sont de moins en moins nombreux et doivent payer les indemnités, de plus en plus élevées, des inactifs (chômeurs et retraités). Sans monter les uns contre les autres, il est clair qu'il serait plus logique de commencer par relancer l'emploi (et tendre vers le plein-emploi que le Conseil des retraites considère d'ailleurs comme un but à atteindre) avant de prendre des décisions sur l'âge de départ ou la durée de cotisations. Troisième (et dernière) remarque: tous les acteurs du dossier affirment qu'il n'y a que trois leviers (âge légal de départ, durée de cotisations, niveau des pensions). Sarko ayant exclu de toucher au 3ème, il ne reste que les deux autres. Et si (et c'est une proposition) on réfléchissait à diminuer l'âge d'entrée dans la vie active? Autrement dit (pour prendre un exemple concret), continuer à recruter des enseignants de 23 ans (à Bac +3) et non de 25 ans (à Bac +5) qui partiront en retraite deux ans plus tard? Ceci n'est qu'une piste... J'aurais l'occasion de développer davantage. Le dossier continuera de faire la "une" pendant quelques mois et je ne manquerai pas d'y consacrer un article complet.