31 Décembre 2010
Rappelez-vous: c'était en 1994. La gauche croyait en une victoire présidentielle quasiment annoncée. La France était gouvernée, sous période de cohabitation, par la droite. Une droite qui, à l'approche de l'échéance élyséenne et dévorée par les ambitions, se divisait entre partisans du sortant (le premier ministre, Edouard Balladur) et adeptes d'une alternative incarnée par Jacques Chirac. L'hypothèse Mitterrand étant impossible (du fait de la maladie et de l'essouflement politique du Président sortant), la gauche fit de Jacques Delors son champion. Populaire et compétent sur les dossiers économiques, il disposait de l'aura suffisante pour présider la France d'autant plus qu'il allait être disponible de par la fin de son mandat à la tête de la Commission européenne, organisme d'envergure internationale qui lui conférait une visibilité majeure sur la scène mondiale. Beaucoup pensait qu'il allait se jeter dans la bataille, car sa victoire était annoncée... Sauf qu'au dernier moment, il renonça, laissant les socialistes se diviser entre partisans de Lionel Jospin, alors Premier secrétaire, finalement choisi en dernier recours, et d'Henri Emmanuelli. Mal préparée, lancée trop tardivement, la campagne du candidat socialiste ne fut pas excellente: certes, il arriva en tête (et largement) au soir du premier tour mais perdit tout aussi largement le second !!
L'histoire se répéterait-elle? Pour le savoir, faisons un petit exercice que les professeurs de français appellent de "réécriture": je vais simplement remplacer quelques noms et quelques groupes de mots par d'autres (qui seront valorisés). Nous sommes en 2011. La gauche croyait en une victoire présidentielle quasiment annoncée. La France était gouvernée, depuis près de dix ans, par la droite. Une droite qui, à l'approche de l'échéance élyséenne et dévorée par les ambitions, se divisait entre partisans du sortant (le président, Nicolas Sarkozy) et adeptes d'une alternative incarnée par un centriste (plusieurs noms circulent). L'hypothèse Royal étant (presque) impossible (du fait de l'essouflement politique de l'ancienne candidate), la gauche fit de Dominique Strauss-Kahn son champion. Populaire et compétent sur les dossiers économiques, il disposait de l'aura suffisante pour présider la France d'autant plus qu'il allait être disponible de par la fin de son mandat à la tête du Fonds Monétaire International, organisme d'envergure internationale qui lui conférait une visibilité majeure sur la scène mondiale. Beaucoup pensait qu'il allait se jeter dans la bataille, car sa victoire était annoncée... par des sondages qui lui prédisent, dix-huit mois avant, une victoire par dix points d'avance face à Sarko !
Imaginons maintenant la suite: Sauf qu'au dernier moment, il renonça, laissant les socialistes se diviser entre partisans de Martine Aubry, alors Première secrétaire, finalement choisie en dernier recours, et de Ségolène Royal. Mal préparée, lancée trop tardivement (en novembre 2011), la campagne de la candidate socialiste ne fut pas excellente: certes, elle arriva en tête (et largement) au soir du premier tour mais perdit tout aussi largement le second !! Plausible, ce scénario? L'avenir nous le dira. Mais, il est encore temps d'éviter cette catastrophe qui ouvrirait les portes d'un second mandat à l'actuel locataire de l'Elysée. Comment? Il n'y a que deux solutions possibles. Soit la direction du PS accélère le calendrier, constatant que la droite est déjà à l'unisson derrière le Président sortant (voir les déclarations de François Fillon qui appellent à faire bloc derrière le chef de l'Etat pour sa réélection) et que d'autres partis se mettent en ordre de marche (comme le FN, dont la nouvelle présidente sera en campagne à l'instant même de sa désignation par les militants du parti mi-janvier). Dans ce cas, il semble extrêmement probable que DSK se refuse à participer aux primaires, considérant qu'il ne lâcherait son poste à Washington que le plus tard possible. Ainsi, la bataille opposerait les principaux candidats déjà déclarés ou soupçonnés (Valls, Montebourg, Royal, Aubry, Hollande). L'un d'eux serait désigné avant l'été pour disposer d'une année complète pour s'installer dans la peau du meneur de jeu. Et, une année, c'est bien le temps qu'il faudra pour que l'un de ceux-là s'y installe solidement. Les primaires internes de 2007 ont bien démontré que, sans le soutien du parti, le (la) candidat(e), faute de crédibilité, n'a que peu de chances de s'imposer... s'il (elle) n'est déjà pas capable d'unir son camp. Ce que Sarko a bien compris, la gauche ne l'a pas intégré.
Au fond, seule Martine Aubry (à qui il a fallu plus d'un an pour s'imposer dans son parti) pourrait être une bonne candidate en n'étant désignée que quelques mois avant l'échéance. La patronne du PS étant la candidate "légitime", elle n'a pas besoin d'un an pour se préparer. Si l'un(e) de ses challengers devait être choisi(e), aussi talentueux(-se) soit-il (elle), ce délai ne serait pas de trop. Deuxième hypothèse: DSK a une envie profonde d'y aller. Auquel cas, il se déclare dès maintenant et la direction du PS maintient le scrutin des primaires pour l'automne. Car, au-delà de la maire de Lille, Strauss-Kahn est le seul des socialistes à ne pas avoir besoin d'un an pour se draper des habits de candidat dans la mesure où il l'est déjà dans l'esprit de nombreux Français, notamment de gauche. Toutefois, s'il décidait de se lancer dans la course, le PS devrait absolument maintenir les primaires: même s'il est assuré de les remporter, de par la participation des sympathisants à ce scrutin, il lui faudra cette onction populaire pour lancer sa campagne. Lui qui se pense en recours de la gauche, tel un général de Gaulle en 1958 (ses proches osent cette comparaison !), l'ancien maire de Sarcelles ne doit pas oublier qu'en 2010, la fameuse "rencontre d'un homme avec son peuple" n'est qu'un vague souvenir... et que les Français cherchent un homme (ou une femme) compétent(e), entouré(e) d'une équipe solide apte à trouver des solutions à leurs problèmes. Dès lors, une fois les cantonales et les sénatoriales (prévues en septembre) passées, la campagne de la gauche débuterait avec l'investiture de DSK.
Serait-il alors assuré de l'emporter face à Sarkozy? Il y a quelques semaines, ma réponse aurait été très nuancée. A titre personnel, j'ai du mal à me faire une opinion sur cet homme. Militant du PS depuis 2006 (quand il fallait choisir le candidat à la présidentielle de 2007), j'avais longtemps hésité à voter pour lui. Dans mon analyse, les "pour" et les "contre" s'équilibraient: il a pour lui la compétence en matière économique et l'envergure internationale; mais, dans le même temps, il symbolise aussi une politique que je jugeais déjà trop libérale (marquée, avec son rival d'alors, Laurent Fabius, par un grand nombre de privatisations entre 1997 et 2002) et que sa nomination à la tête du FMI a confirmé. En 2010, avec les suites de la grande crise économique, mon sentiment anti-DSK s'est renforcé: un peu comme Sarko, je lui reproche de mêler un discours très social à une pratique qui l'est beaucoup moins. Il n'y a qu'à voir les recettes que son organisme conseille (voire impose) aux pays en difficulté financière que le FMI vient aider: baisse des niveaux de retraite et du salaire minimal, baisse des traitements des fonctionnaires, baisse de la dépense publique dans des secteurs aussi vitaux que la santé ou l'éducation, hausse des impôts indirects (comme la TVA qui, en Grande-Bretagne, devrait progresser de plus de 3 points)... Au regard de ces solutions, appliquées notamment en Irlande, peut-on encore considérer le principal dirigeant d'un tel organisme comme un "socialiste", épris de justice sociale? Le doute s'est installé. Toutefois, dans l'esprit des Français, et des sympathisants de gauche en particulier, DSK est un brave homme, compétent, sympathique, digne de la fonction présidentielle. Son physique et son goût pour les femmes en font un homme séduisant auprès de la gente féminine... celle qui ne cachait pas voter pour Chirac parce qu'il est beau et présente bien !
Seul hic: s'il est choisi, DSK peinera à imposer sa candidature aux autres partis de gauche. Depuis 2007, le paysage politique s'est radicalisé. La gauche est plus à gauche que par le passé. Des solutions plus radicales, réclamées par le peuple, sont portées par le Front de gauche, voire Europe Ecologie. L'attitude strauss-kahnienne de "défendre les intérêts et le bien-être du plus grand nombre [comprenez: les familles pauvres, modestes et de classe moyenne] sans leur promettre la lune" (Elie Barnavi, Marianne de début octobre) n'est pas en vogue. Saura-t-il imposer ses convictions, sa modération et son réalisme économique à ses partenaires d'une nouvelle gauche plurielle? Ou devra-t-il gauchiser son discours et son programme pour ne pas sombrer dans les mauvaises opinions, que les analystes lui promettent dès qu'il aura remis un pied ferme en France? Réponse dans quelques mois.