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JES6 - Pour une France Juste, Ecologique et Sociale

Ce blog rassemble mes idées et constitue une modeste pierre pour bâtir une alternance en 2022.

La justice selon Bush

C'est l'été. C'est les vacances. Pour encore moins deux semaines. Et c'est l'occasion de lire, chose qu'on n'a pas nécessairement le temps de faire le reste de l'année. A défaut de bronzer en lisant, j'ai pu prendre quelque plaisir à parcourir un livre trouvé dans les rayons d'une médiathèque. Ecrit en 2000, par Thomas Cataloube (alors grand reporter à Libération et actuel correspondant de Marianne à Washington), il s'agit d'une biographie de celui qui n'était alors que candidat à la présidence des Etats-Unis. Fils d'un ancien président, gouverneur républicain, George W. Bush allait être élu pour diriger la première puissance mondiale, se retrouvant confronté au terrorisme quelques mois après son arrivée à la Maison-Blanche. Ce livre est d'autant plus intéressant qu'il retrace le parcours de celui qui va (enfin) quitter la Maison-Blanche, sa pensée politique... en mettant de côté les problèmes internationaux. Dans la mesure où il a été rédigé avant le traumastisme des attentats du 11 Septembre. Connaître la position de l'actuel président américain sur des sujets comme l'éducation, l'environnement, la justice ou la santé, alors que ces thèmes sont au coeur de la campagne pour sa succession, est d'un intérêt majeur. Et je veux vous le faire partager, en vous proposant quelques extraits de ce livre, simplement intitulé "George W. Bush, l'héritier", concernant la justice.

" C'est un épiphénomène, certes, mais la peine de mort au Texas sous George W. Bush met les journalistes dans une position délicate. Ceux-ci aiment bien débuter un article par une histoire exemplaire et édifiante qui fera appel à l'émotion des lecteurs. Le problème avec le Texas de 1994 à aujourd'hui [en 2000] est que l'on ne sait trop par où commencer. Exécution de mineurs au moment des faits? Faites entrer Gay Graham, Glen Charles McGinnis (...) Exécution de malades et handicapés mentaux? Bienvenue à John Paul Penry et Terry Washington. Exécution de femmes? Bien sûr, voyez Karla Faye Tucker. Exécution d'une arrière-grand-mère? Pas de problème, voici Betty Lou Betts. Exécution d'étrangers, en contradiction avec la convention de Vienne de 1963? Le Mexicain Irineo Montoya et le Canadien John Stanley Faulder ne sont plus là pour témoigner. Exécution d'innocents? Chut ! George W. Bush a présidé à l'exécution de 135 personnes depuis son arrivée à la tête du Texas, soit une toutes les deux semaines: un condamné sur trois aux Etats-Unis est mis à mort au Texas (...) Aujourd'hui, lorsqu'une exécution a lieu, il affiche une mine grave, compatissante disent certains, et il déclare invariablement avoir prié pour la victime, sa famille et le (la) condamné(e). Cette attitude de compassion, que personne ne lui connaissait avant, vise-t-elle à mettre en avant la gravitas d'un candidat à la présidentielle? [Note personnelle: à moins qu'il ne s'agisse de sa rencontre avec Dieu qui, après ses années d'études où il pensait davantage aux filles, à l'alcool ou encore à la drogue qu'à ses résultats, lui a permis de devenir un homme respectable !]

(...) Au Texas, comme dans le reste des Etats-Unis, W. ne risque pas grand chose à se montrer tel qu'il est: un farouche partisan de l'application de la peine de mort et d'un durcissement de la justice vis-à-vis des criminels. Au Texas, 80% de la population est favorable à la peine capitale, une proportion plus élevée que la moyenne nationale qui se situe à 66%. Autant dire qu'il existe peu d'hommes politiques américains d'envergure volontaires pour s'élever contre les exécutions. Un seul l'a fait jusqu'ici: après qu'un treizième condamnés à mort de son Etat ait été reconnu innocent en 23 ans, le gouverneur républicain de l'Illinois George Ryan a déclaré un moratoire sur les exécutions, en attendant de pouvoir s'assurer que la machine judiciaire n'envoie pas des innocents au cimetière. Quelques mois plus tard, une équipe de juristes de l'Université de Columbia à New York a publié un rapport indiquant que, sur les vingt dernières années, les deux tiers des condamnations à mort comprenaient de "sérieuses erreurs" judiciaires, les plus fréquentes étant des avocats incompétents et une rétention des preuves qui auraient pu exonérer l'accusé (...) Le gouverneur Bush n'a pas ces états d'âme: interrogé en mai 2000 sur le moratoire de l'Illinois, il déclarait être "confiant dans le fait que chaque personne exécutée au Texas sous [sa] magistrature était bien coupable des crimes dont elle était accusée et a eu un accès complet à toute la procédure judiciaire" (...) Ce à quoi Elisabeth Semel, responsable du barreau américain dans les cas de peine capitale, répond en affirmant qu' "à chaque étape du processus de condamnation à mort, le Texas est bien en dessous de n'importe quel standard en ce qui concerne la défense des inculpés.

(...) A la source de ce problème, on trouve une carence de la justice: le Texas est l'un des seuls Etats à ne pas posséder de système public de défense. Autrement dit, les avocats commis d'office sont désignés par les juges, selon le bon vouloir de ces derniers, et non par un pool de conseillers juridiques formés et rémunérés par l'Etat, comme cela se fait ailleurs. Or les juges texans sont élus, ce qui laisse la porte grande ouverte à toutes les formes de clientélisme. Des avocats incompétents qui savent se mettre des juges dans leur proche profitent pleinement de ce système. L'un d'entre eux, cité par la presse, explique que pendant des années il a gagné sa vie en se faisant désigner par des juges. Il défendait régulièrement des accusés risquant la peine capitale: 17 ont été condamnés.... A la décharge des avocats commis d'office, il faut préciser qu'en moyenne l'accusation dépense vingt fois plus d'argent qu'eux pour la recherche et la présentation des preuves. En 1999, devant le nombre d'aberrations judiciaires rapportées par les médias, les députés et sénateurs texans [alors majoritairement démocrates] se sont emparés du sujet et ont voté à l'unanimité une modeste loi établissant un système de désignation des avocats commis d'office qui échapperait aux juges. Ceux-ci, un puissant lobby républicain, n'étaient évidemment pas d'accord et l'ont fait savoir à Bush qui use de son veto pour envoyer cette nouvelle législation aux oubliettes. Huit mois plus tard, en pleine campagne électorale, Bush se déclare en faveur d'un système public de défense lors d'une interviex télévisée. Alors qu'on lui rappelle son veto à ce sujet, il affirme ne pas s'en souvenir. Joli cas d'amnésie politique. Qu'il dise vrai ou pas importe peu: son attitude prouve que la défense des accusés demeure le cadet de ses soucis.

Le gouverneur a également contribué à accélérer l'exécution des condamnés en signant, en 1995, une loi visant à raccourcir le délai d'appel dont bénéficie un détenu dans le couloir de la mort et à empêcher plus d'un recours d'Habeas Corpus (...) Bush s'est également opposé au vote d'une loi qui aurait interdit l'application de la peine de mort aux attardés mentaux, en commuant leur condamnation en emprisonnement à vie, sans possibilité de libération. La loi avait été soigneusement préparée: elle fixait un quotient intellectuel de 65 comme base du retard mental, alors qu'il est à 7à au niveau national (...) Le gouverneur dispose de la possibilité de suspendre une exécution pendant un délai de trente jours. Bush ne l'a fait qu'une seule fois en juin 2000, sous la pression de la campagne électorale qui avait fait de la peine capiale et de l'exécution d'innocents un sujet brûlant. Au-delà, il se retranche derrière le fait qu'il est lié constitutionnellement par les décisions du Texas Board of Pardon and Parole (TBPP), l'organisme chargé de recommander ou non une grâce ou une commutation de peine. Le TBPP est composé de 18 membres nommés par le gouverneur pour une durée de six ans. ce qui signifie qu'à l'heure actuelle, tous ont été mis en place par Bush. Et d'après l'ancien procureur du Texas, "il n'y a aucun doute que si le gouverneur souhaite accorder sa grâce et qu'il le fait savoir aux membres de ce comité, ceux-ci la lui recommanderont" (...) Le refus de Bush d'intervenir auprès du TBPP ne peut être justifié par la qualité incontestable du travail de ce comité. Il est en effet le seul organisme de ce genre aux Etats-Unis à ne pas tenir de débats publics, à ne pas être obligé de motiver ses décisions et dont les membres peuvent rester chez eux et voter par fax ".

Tout ceci est suffisant éloquent pour que je poursuive... Une question vient à l'esprit: comment les électeurs américains ont-ils pu confier les commandes de leur pays à un homme qui avait un tel bilan et de telles pratiques dans son Etat? Et cette question concerne aussi la France: en effet, l'une des propositions-phare du candidat Bush en matière de politique judiciaire rappelle curieusement une de celles qui sont à la base du sarkozysme sécuritaire: pour lutter contre la délinquance juvénile, il proposait de pouvoir faire juger les mineurs de plus de 14 ans comme des adultes. La suspension de l'excuse de minorité, le fichage des comportements à risque dès le plus jeune âge (comportements qui, selon certains, peuvent avoir des origines génétiques !) et la mise en place de peines-planchers pour les récidivistes sont autant de mesures prises par le gouvernement français pour lutter contre la grande délinquance... faisant exploser le nombre de détenus dans les prisons, sans que les actes de violence contre des biens ne diminuent. A cette différence prêt, qu'aujourd'hui, les voitures brûlées dans les périphéries des agglomérations françaises ne sont plus aussi médiatisées qu'à l'époque où la sécurité était une des premières préoccupations des Français. Le tout-sécuritaire, qui se traduit outre-Atlantique par l'absence de dissuasion que certains prêtent au maintien de la peine de mort, n'a pas encore prouvé son efficacité... à méditer !
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