Alors, comme ça, près des deux tiers des Français seraient hostiles à la proposition de taxe carbone à la sauce Sarko? On savait notre président pas franchement populaire, mais à ce point ! Personne n'avait imaginer qu'un homme de droite comme lui aurait pu être l'initiateur d'une politique écologique innovante, faisant de la France un modèle. Sentant le bon coup, il s'était, comme ses rivaux de l'époque, empressé de signer le Pacte de M. Hulot. Une fois installé à l'Elysée, il confiait au maire de Bordeaux, avant d'y installer le silencieux Jean-Louis Borloo, un ministère d'Etat du développement durable, solidement implanté en deuxième place de la hiérarchie ministérielle. Il y a un an, le Grenelle de l'environnement, qui fut l'occasion de débats locaux sur des questions à long terme, enfonçait encore un peu plus le clou: Sarko allait faire prendre à la France le tournant écolo qu'elle voulait. Et, une fois les européennes passées, le dernier coup politique du chef de l'Etat consiste donc à créer, malgré l'opposition de l'opinion et les hésitations de l'opposition, cette fameuse taxe carbone. Rebaptisée, pour l'occasion, "contribution climat-énergie". Car, en tant de crise, tant pour le budget des ménages que pour celui de l'Etat, créer un nouvel impôt, ce serait la pire des choses à faire (dixit la bien-pensance). Et c'est dommage que le gouvernement n'ait pas le courage de le dire: que ce soit avec ou sans prétexte écologique, il va bien falloir augmenter les impôts, directs ou indirects, pour reboucher le faramineux trou de notre budget. L'augmentation du forfait hospitalier fait partie d'une même logique. Sauf qu'on essaie de le déguiser. Pour ne pas plonger dans les profondeurs de l'impopularité.
Au final, pour la taxe carbone, cette tentative de déguisement de la réalité donne un résultat plus que décevant: pour nous prouver que cette contribution n'est pas qu'une taxe destinée à remplir nos caisses vides, le gouvernement communique à fond sur le volet "redistribution" du projet. Les quelques milliards collectés seront IN-TE-GRA-LE-MENT redonnés aux ménages, on vous dit !! Si j'ai bien compris, les ménages recevront un chèque annuel d'un montant qui varie selon que l'on vit en ville ou à la campagne, selon la structure de la famille (célibataire ou en couple) avec une prime par enfant. De quoi apporter de l'eau au moulin de l'excellent Jean-François Kahn, récemment invité des "4 vérités" dans Télématin. L'eurodéputé, apparenté MoDem, a trouvé deux occasions de taper sur Sarko (pour en faire ressortir toutes les contradictions): 1- avec l'histoire du grand emprunt, le chef de l'Etat a lancé l'idée sans pour autant savoir ce qu'il allait faire de l'argent récolté, puisqu'il a besoin de la commission Rocard-Juppé pour le lui dire; preuve, pour l'ancien directeur de Marianne, que le sarkozysme repose sur les effets d'annonce (l'emprunt national pour relancer l'économie s'apparentait donc bien à cela) et ne porte aucune vision politique à long terme; 2- avec l'affaire de la taxe carbone, où l'on rend d'une main ce que l'on a pris de l'autre, le pouvoir montre qu'il agit dans la plus grande improvisation. Le grand chef a décidé de faire une taxe carbone pour essayer de griller le projet écolo d'un PS sur le retour. Et, depuis de longs mois, on sent les hésitations, les propositions jetées à l'opinion pour qu'elle y réagisse, etc.
Et pourtant, c'est un 8 sur 10 que je veux donner aujourd'hui à Nicolas et à son gouvernement. Car, sur la forme, le président a totalement réussi son coup. Il décide, dans un premier temps, qu'une contribution à visée écologique, pour modifier les comportements des consommateurs, sera lancée en vue d'être inscrite dans le budget 2010. Et, à partir de là, s'enchaîne trois étapes, qui nous conduisent jusqu'à aujourd'hui: 1- nomination d'une commission, présidée par Michel Rocard, pour rédiger un rapport faisant des propositions sur la mise en application concrète du projet présidentiel; 2- après réception du dossier, le président provoque un débat dans l'opinion, qui se saisit du dossier, à tel point que, pendant quelques semaines, les spécialistes du dossier multiplient les interviews dans des médias qui jouent parfaitement leur rôle (présentation des différentes thèses, réalisation d'enquêtes d'opinion, pédagogie du projet présidentiel et de ce qui existe chez nos voisins); 3- une fois le débat terminé, le président de la République, dans une intervention solennelle, rend ses arbitrages et prend la décision finale. C'est ce qui vient de se passer, par exemple, pour le montant de la tonne de CO2 qui servira de base au calcul de cette contribution: en étape 1, Rocard propose 32€; en étape 2, le gouvernement évoque 14 à 20€ et les acteurs politiques débattent de ce montant; en étape 3, Sarko tranche et dit "ce sera 17€". C'est exactement l'idée que je me fais de la fonction de président de la République: quelqu'un qui initie les projets en fonction de son cap politique, qui laisse la société débattre pendant quelques semaines, qui donne toute liberté à ses ministres pour alimenter le débat en question et qui, au final, prend la décision. Ce n'était pas arriver depuis 2007. Mais, là, Sarko a vraiment bien joué !
En revanche, sur le fond, c'est 0 pointé ! A vouloir aller trop vite, et en tirer ainsi un maximum de bénéfices politiques et électoraux (car, au fond, c'est cela qui compte le plus), notre président a brûlé les étapes. Et, heureusement que Ségolène est intervenue dans le débat, faute de quoi on se dirigeait vers un consensus qui aurait masqué les limites du projet. La président de Poitou-Charente, sentant que l'opinion n'allait pas accepté, notamment compte-tenu du contexte économique, une nouvelle ponction sur leur maigre pouvoir d'achat, a tiré la première: cette taxe est un nouvel impôt, à la fois injuste socialement et inefficace écologiquement. Bravo Ségo ! Car, sur son point, quoi qu'en disent les écologistes, l'ancienne candidate à la présidentielle a totalement raison. Son argument? Même avec des chèques de redistribution, qui rendent la mesure assez peu lisible, cette taxe est un impôt déguisé qui va pénaliser ceux qui n'ont pas les moyens de travailler autrement qu'avec leurs voitures ou qui n'ont pas d'argent à consacrer à l'isolation de leur maison. Bref, c'est encore sur les plus fragiles que cette taxe va peser le plus lourd. Et on ne saurait l'accepter. Sa contre-proposition? Elle en fait une: taxons d'abord les profits des multinationales qui font des bénéfices record, malgré la crise, en vendant ces produits polluants. La première cible, trop évidente: Total, qui a réalisé en six mois un bénéfice supérieur à ce que la taxe devrait rapporter à l'Etat en un an. Et la présidente de Poitou-Charente de proposer deux étapes successives: 1- utiliser l'argent de cette taxation exceptionnelle pour augmenter les offres de prêts à taux zéro ou les subventions aux particuliers et aux PME pour améliorer leur performance énergétique en terme de logement, de véhicule ou d'alimentation; 2- puis, une fois que les ménages auront eu l'occasion de choisir entre réaliser des travaux avec cette aide gouvernementale ou rester dans leur situation actuelle, mettre en place un système de bonus-malus, récompensant les efforts des uns et pénalisant le laisser-aller des autres, en se basant sur une tonne de CO2 à au moins 30€, dès le départ. Objectif? Permettre aux Français d'isoler leurs maisons, de changer leur voiture ou de se tourner vers une alimentation plus saine par le biais d'aides financières, complétées (plus tard) d'une fiscalité incitative.
Quoi que l'on puisse penser de la personnalité de Mme Royal, sur ce sujet, on voit clairement qu'elle a réfléchit, qu'elle s'appuie sur ce que les régions peuvent faire (les éco-prêts ou subventions existent, sous l'impulsion des Conseils régionaux de gauche depuis 2004 !). Son projet est, sur le fond, excellent. En tout cas, bien meilleur que celui du Président, qui ne mérite donc, au final, qu'un 8 sur 20. De quoi aller au rattrapage sans pour autant avoir réussi l'épreuve. Le projet tel qu'il est me fait penser au débat sur le travail le dimanche: le principe est bon, mais les modalités d'application, définies par le projet gouvernement, ne sont pas à la hauteur. Il devrait peut-être chercher à s'inspirer des exemples qui fonctionnent: en Suède, cette fiscalité écologique, qui existe depuis les années 1920, fonctionne très bien. Basée sur une tonne de CO2 à 108€ (après être parti, initialement, de 27€ la tonne), frappant les déchets nucléaires ou encore les vols aériens intérieurs, son produit sert à financer des dispositifs d'amélioration des équipements des ménages comme des entreprises (qui bénéficient par ailleurs d'une exonération partielle de la taxe, pour des raisons de compétitivité). Voilà un exemple intéressant (source: dossier de la rédaction de France Info) qui permettrait au projet gouvernemental français de passer au-dessus de la moyenne... Et de ne pas s'emfermer dans la logique qui consiste à s'emparer d'un concept venu de la gauche en l'utilisant comme gadget dont on vide pourtant tout le sens: cette forme d'ouverture, qui ne concerne plus les personnes mais les idées, ne saurait suffire à dépeindre Sarko en champion de l'écologie. Et ce n'est pas non plus sa photo, sur le perron de l'Elysée, avec la jeune Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts, qui doit détourner nos compatriotes de l'essentiel. Soyons d'autant plus vigilants que, dans quelques semaines, le rendez-vous crucial de Copenhague, où les initiatives nationales se confronteront pour arriver à des mesures mondiales qu'on espère efficaces, se profile !