10 Octobre 2008
Dans son numéro daté du 4 octobre, Marianne proposait un de ces dossiers spéciaux qui "fleurissent" dans nos médias, et qui abordent la crise financière sous tous les angles. Là, il s'agissait d'identifier les menteurs, les profiteurs et les victimes du séisme qui connaît actuellement la planète financière. Et, dans ce cadre, dans la partie consacrée aux responsables de la crise, l'hebdomadaire a interrogé l'économiste et essayiste Jacques Attali. Voici les meilleurs extraits de l'interview qu'il a accordé à Renaud Dély: lisez-les et, en postant un commentaire, faites-moi part de vos réactions.
"Les crises précédentes étaient très localisées et donc contrôlables par les Etats. Si l'un d'exu s'effondrait, un autre prenait le relais. Aujourd'hui, le marché est devenu global, pas l'Etat. Or, le marché n'a jamais fonctionné sans Etat. C'est d'ailleurs l'Etat qui a toujours créé le marché (...) Aujourd'hui, on ne connait que deux marchés sans Etat: la Somalie et... le marché mondial. Nous vivons donc dans une Somalie planétaire et, naturellement, nous subirons les conséquences de cette Somalie planétaire, c'est-à-dire un régime de non-droit. Nous avons toutefois des outils qui sont autant de digues pour cantonner la crise (...) Les banques centrales, qui doivent mettre de l'argent; les gouvernements, qui doivent rassurer et créer la confiance; l'alliance des Etats et des grandes institutions financières privées, qui peuvent ensemble rendre des décisions pour arrêter la catastrophe. Deux décisions, à effets récessifs limités, arrêteraient le déluge. La première? Obtenir des cinquante plus grandes banques mondiales qu'elles n'aient plus aucune relation avec les institutions financières installées dans les paradis fiscaux, c'est-à-dire ces hedge funds qui nuisent à l'économie mondiale. La deuxième mesure? Interdire ensuite à toute banque de condire des opérations de marché à court terme, de spéculation à court terme, de façon à réduire ce qu'on appelle les dérivés. Il s'agit de rendre sa primauté à l'économie réelle. S'il convoquait les principales banques, le G8 pourrait prendre ces mesures en quelques jours (...)".
[A la remarque suivante du journaliste qui l'interroge: "En réhabilitant la puissance publique, les Etats-Unis, temple du néolibéralisme, ont à la fois décrété la fin d'un monde et la faillite du capitalisme financier...", Jacques Attali répond]: "Non, c'est le contraire. C'est le triomphe du capitalisme financier. Il a empoché 100 milliards d'euros de bonus l'année dernière, et il réussit à faire payer ses pertes par le contribuable ! Quel coup fabuleux ! Ceux qui ont été ruinés par les subprimes ont laissé leur maison, et n'empocheront sans doute par un dollar du plan Paulson. En revanche, en échange de titres désormais dépourvus de toute valeur, les banques centrales prêtent de l'argent aux entreprises dont les dirigeants ont touché ces fameux bonus. Cette monnaie qui circulera bientôt sans contre-partie réelle créera de l'inflation. Elle va donc dévaloriser l'épargne. Résultat? Les emprunteurs payent en raison de la crise des suprimes, les contribuables payent, les épargnants vont payer. Et les seuls qui ne paieront jamais? Ceux qui ont vraiment profité du système. Les nationalisations apparaissent comme un retour de l'Etat; c'est au contraire la victoire du capitalisme financier. On efface la faute, et ont la fait payer par d'autres !
(...) Les banques ne peuvent pas rembourser en même temps tous les dépôts de tous leurs clients, puisqu'elles font tourner l'argent. Sur le papier, le système pourrait donc exploser si tout le monde se précipitait en même temps pour se faire rembourser (...) En réalité, tout dépend des gros titres de la presse, selon qu'elle choisit "le vertige du néant" ou "on peut s'en sortir". C'est l'économie de la confiance qu'il faut reconstruire. Tout est question d'anticipation. Dans le rapport sur la libération des freins de la croissance, nous avons consacré une demi-page aux taxis et cinq pages à la crise financière et à la spéculation. Si on leur avait attaché autant d'importance qu'à celle sur les taxis, nous n'en serions peut-être pas là (...) Aujourd'hui, le marché mondial, ce n'est pas un avion sans pilote, c'est un avion... sans cabine de pilotage ! Les politiques ne peuvent pas affirmer: "Nous sommes aux commandes !". Ils doivent d'abord construire la cabine de pilotage (...) Voilà l'urgence à résoudre".