Dans l'un de ses derniers dossiers, Marianne évoquait dernièrement un mensonge d'Etat: la promesse faite par le candidat Sarkozy d'être le président du pouvoir d'achat. Rappelant que, président, il menait une politique contraire à celle qu'il avait mis en place en tant que ministre du Budget lors de la précédente récesssion, en 1993, l'hebdomadaire déplore que le gouvernement n'ait pas de réelles stratégie économique pour faire face à une crise qu'il continue de nier... Pour rassurer les Français, on leur ment délibérément, sans pour autant chercher à trouver des solutions de long terme, en se contentant de mesures budgétivores qui ne sont efficaces qu'à court terme. Dans le même dossier, Guy Sitbon signait un excellent article sur la guerre d'Afghanistan, rappelant comment le président - au nom de l'amitié avec les Etats-Unis, qu'il a érigé comme première priorité de sa "nouvelle" diplomatie - a fait le contraire de ce que préconisait le candidat: alors que, pendant la campagne, il affirmait vouloir sortir la France de la guerre afghane, considérant que "jamais aucune puissance militaire n'a triomphé dans un pays qui n'est pas le sien", le président a décidé d'envoyer des renforts supplémentaires à Kaboul après que George W. Bush ait tapé du poing sur la table alors que Sarko évoquait la possibilité d'un désengagement progressif.
Et c'est bien an Afghanistan que se joue ce plus gros des mensonges d'Etat ! Les derniers développements dans l'affaire de l'embuscade qui a coûté la vie à dix de nos soldats le montrent: hier, le porte-parole de l'Etat-major des armées a été contraint de confirmer qu'un soldat, et un seul, avait été tué à l'arme blanche, et non par balle, comme il était affirmé jusqu'alors. La raison invoquée pour ce mensonge: préserver la famille du soldat en question qui avait fait la demande de garder cette information secrète. Alors même que les familles des victimes demandent toute la vérité sur cette opération, et dans la mesure où le nom de ce soldat n'est pas divulgué - ce qui, de fait, n'apporterait aucune information supplémentaire -, il est étrange de constater que le ministère de la Défense et l'Etat-major ait choisi de cacher cette information. Dès hier soir, invité du 20 heures de France 2, Hervé Morin, intervenant avec des yeux de chien battu, justifiait ce choix, déplorant au passage que cette information ait finalement été divulgué, sous la pression des rumeurs de plus en plus folles qui circulent. Mais, n'aurait-il pas été plus pertinent, monsieur le ministre, de dire toute la vérité pour éviter que de telles rumeurs circulent?
Dès l'instant où l'Etat et l'armée cachent quelque chose, il paraît logique que les journalistes d'investigation fassent, d'ailleurs très bien, leur boulot pour rechercher cette vérité qui est cachée aux Français. A moins qu'il ne s'agisse d'une stratégie du gouvernement pour relancer une presse écrite en perte de vitesse (c'est de l'humour, bien sûr !). Comme le disait, ce matin sur France Info, Edwy Plenel, directeur de Mediapart.fr, "la grande muette [aura été, dans cette affaire] très communicante mais peu informative, se contentant de publier des communiqués de démentis sur ce que les journalistes publient". Lorsque le Canard enchaîné affirme qu'un interprète afghan aurait pu livrer les soldats français aux talibans en leur fournissant le lieu de leur passage, plusieurs heures avant, le ministre jure qu'il s'agit là d'une affirmation calomnieuse. Sauf qu'une autre reporter, Florence Aubenas, revenant d'Afghanistan, dit pencher plutôt du côté de la version du Canard. Sauf que l'interview des talibans par Eric de la Varenne confirme que ceux-ci ont été informés du trajet, afin de préparer l'embuscade dans laquelle est tombé le détachement français. Comment, dès lors, avoir confiance en le gouvernement ou en l'Etat-major qui, lors d'une grande conférence de presse, a retracé le fil des évènements, minute par minute, à l'aide d'une carte rétroprojetée. La version présentée ce jour-là était-elle volontairement erronée? La question peut être légitimement posée.
Quoi qu'il en soit, ce mensonge des autorités françaises est gravissime: en n'apportant pas à la connaissance des citoyens les vraies clés pour comprendre ce qui se passe là-bas, le gouvernement se prive du moyen d'expliquer ses choix de retirer, maintenir ou renforcer sa présence sur place. Car, dès lors qu'un des soldats aurait été blessé par balle puis tué au couteau, cela signifie qu'il pourrait y avoir eu corps à corps et même que ce soldat ait été achevé par un taliban. Ce qui viole toutes les règles de la guerre: cela s'appelle, tout simplement, un crime de guerre ! Face à une telle réalité et à de tels faits, la question de la légitimité de notre présence en Afghanistan peut se reposer, même si le vote qui devrait suivre la prochaine discussion au Parlement n'apportera rien. Edwy Plenel, commentant toujours cette actualité, affirmait ainsi que dans cette guerre, qui n'est plus qu'une opération de maintien de la paix, on a encore recours à de la "chair à canon", bien souvent composée de soldats issus de milieux défavorisés comme lorsque, sous l'Ancien Régime, les nobles étaient officiers et les paysans simples soldats. La véritable question est donc bien celle que pose l'ancien directeur du Monde: peut-on vaincre le terrorisme par la guerre? Selon lui, choisir cette méthode est de la "pure folie" car il s'agit d'un combat d'une autre nature. Lors de la campagne présidentielle, les positions de Sarko semblaient les plus sages et, souvent, bien argumentées. Aujourd'hui qu'il décide de faire le contraire, et de jouer la carte du double langage pour épargner l'opinion, on peut s'interroger sur la pertinence de sa politique. Et essayer de la remettre en cause.