Leçon de courage présidentiel

09/08/2008 10:56

Avant de revenir sur les polémiques que suscite la prise de position du président de la République vis-à-vis des JO organisés par la Chine, représentative de ce manque de courage présidentiel, évoquons une autre affaire tout aussi révélatrice. Je veux parler de l'affaire des frégates de Taïwan qui remonte à une époque où je ne m'intéressais pas encore à la politique. C'est dire que la justice prend son temps dans des dossiers aussi sensibles, pourtant particulièrement importants. Pour faire simple, la justice - par le travail de deux juges d'instruction - cherchait à prouver le versement de "commissions occultes", autrement dit de pots-de-vin, à des personnalités pouvant influencer le gouvernement de l'époque afin que celui-ci garantisse la réussite de ce contrat mirobolant pour Thomson. Grâce au maintien continu, sous tous les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, du secret défense, la justice n'est pas parvenue à prouver l'existence de ces rétro-commissions. Conséquence? Le procureur, après tant d'année d'instruction, réclame un non-lieu général... qui laisse un goût d'inachevé dont tout responsable politique ne peut se satisfaire. Et, le moins que l'on puisse dire, c'est que celui qui se targue de faire ce que ses prédécesseurs n'ont pas eu le courage de faire n'aura pas prouvé son audace pendant bien longtemps. La rupture annoncée n'a donc pas eu lieu, alors qu'il avait là l'occasion de se démarquer réellement de ses prédécesseurs en facilitant le travail de la justice pour parvenir à la réalité et condamner ceux qui se sont livrés à des pratiques indignes d'une démocratie.

Mais, le manque de courage le plus flagrant se retrouve dans l'affaire des JO: contrairement à certains

de ses homologues européens - parmi lesquels l'Allemande Angela Merkel, le Britannique Gordon Brown, l'Espagnol Rose Luis Zapatero ou l'Italien Silvio Berlusconi - le président français assistera bien à la cérémonie d'ouverture de JO dans le stade de Pékin (photo). N'y avait-il pas meilleure preuve d'amitié avec le peuple chinois que de lui faire un reproche, en boycottant une cérémonie clairement teintée de politique, plutôt que d'agir finalement en éternel "faux cul" (si vous me pardonnez l'expression)? Exemple très concret de cette posture élysénne: dans l'entretien qu'il accordait à l'agence Chine Nouvelle, le chef de l'Etat considère que la tenue des Jeux à Pékin "consacre la reconnaissance de ce qu'est la Chine du 21e siècle: une puissance moderne, d'envergure mondiale [qui] a retrouvé son rang parmi les plus grandes nations [et] qui a désormais la capacité d'apporter une contribution décisive à l'émergence d'un monde de développement et de paix". "Si l'organisation des JO était un sport, je suis sûr que vous seriez d'accord avec moi pour qu'on attribue à la Chine la médaille d'or !", a-t-il par ailleurs estimé. Très élogieux sur la manière "ambitieuse, dynamique, vibrante, moderne et résolue" dont la cérémonie d'ouverture a été préparée, Nicolas Sarkozy se dit "impatient" d'y assister (source: France Info). Après le Sarko courtisé par ses ministres, voilà le Sarko courtisan !

J'aurais préféré un Sarko véritable ami de la Chine. Car, un vrai ami se doit de savoir faire des critiques justes et argumentées, de manière à préserver une relation saine et équilibrée. Et ce n'est donc pas en assistant au spectacle que les autorités chinoises ne manqueront pas d'exploiter, en ne reçevant pas officiellement le dalaï-lama (revenant sur ses précédentes déclarations) et en faisant interdire une manifestation de RSF devant l'ambassade de Chine à Paris que la France reprendra une place de choix au sein de la communauté internationale. Place à laquelle nous sommes tous attachés, notre pays étant le meilleur ambassadeur des droits de l'homme à travers le monde. Certes, il ne s'agit aucunement d'imposer à la Chine et à tout autre pays que nous jugeons anti-démocratique des normes qu'ils considèreraient comme imposer par l'Occident (c'est d'ailleurs ce que l'on entend parfois dans les rues de Pékin). Or, comment qualifier autrement que de dictature un pays où le parti unique donne un président et un premier ministre à un pays contrôlé dans tous les domaines par le pouvoir central (notamment en ce qui concerne les libertés d'expression)?

C'est donc avec quelques gestes forts qu'un "pays ami" peut faire savoir aux dirigeants d'un tel pays ce qu'il pense de sa manière de respecter ces incontournables que sont la démocratie et les droits de l'homme. Et Sarko a perdu une nouvelle belle occasion de faire parvenir ce message: alors qu'il dénonçait les propos outranciers de l'ambassadeur de Chine en France, après l'annonce de sa rencontre avec le dalaï-lama ce mois-ci, le chef de l'Etat aurait pu ne pas faire empêcher la manifestation de Reporters sans Frontières, prévue devant l'ambassade de Chine à Paris. Le lieu étant évidemment symbolique du combat que l'association mène au nom du respect des droits et des libertés de l'homme. Et, après l'interdiction par la préfecture de police de Paris, le cortège défilera donc sur les Champs-Elysées, au départ du Fouquet's, désormais célèbre pour avoir été le lieu de la victoire du 6 mai 2007: pris à son propre piège, le président de la République est donc désormais clairement visé par le lieu choisi pour une manifestation pacifique... bref, encore une occasion pour faire avancer une cause pourtant juste !

Enfin, dans le cadre de la visite du chef spirituel des Tibétains, prévu dans quelques jours en France, Nicolas Sarkozy ne recevra donc pas officiellement le dalaï-lama, "le président de la République compren[nant] les raisons qui conduisent le dalaï-lama, compte tenu des circonstances présentes, à ne pas solliciter un entretien durant son séjour", dit le communiqué publié par l'Elysée, sans préciser quelles sont ces raisons. Interviewé par France Info, l'un des porte-parole du dalaï-lama a confirmé cette information selon laquelle le chef tibétain ne souhaite pas sollicité une telle entrevue. On a apar ailleurs appris, dans le même communiqué, que c'est la première dame de France qui "sera présente à la cérémonie religieuse présidée par le dalaï-lama qui marquera l'inauguration le 22 août d'un importante temple bouddhique". Que Carla apparaisse sur la scène politique dans des évènements plus symboliques que politiques, en tant que représentante de son époux, d'accord. C'est ce que faisait celle qui l'a précédé à l'Elysée. Mais, qu'il s'agisse là d'une sorte de prétexte ou de compensation à une non-rencontre, contredisant la parole donnée quelques semaines plus tôt, c'est une dernière preuve d'un manque de courage qui caractérise décidément trop bien notre classe politique.